P'tit biquet, p'tit biquet, t'en vas pas dans la forêt

7h du matin un jour de fête nationale, après 11 h d'avion et 7h de décalage horaire, quitter ma suite, deux chambres, deux salles de bain, cuisine équipée, cerbère à l'entrée, pour aller faire un jogging dans Séoul. Je suis un héros, d'aucuns diraient: "un warrior". Départ le long de l'autoroute, même pas peur, direction la tour de Séoul, sujet de fierté locale qui malheureusement ressemble plus à la GPO Tower, peut-être même sans le restaurant, qu'à la Pearl de Shangaï. Pas grave, un prétexte est un prétexte, moche ou pas. Heureusement pour moi, contrairement à leurs collègues français, les p'tits gars de l'équipement coréen installent trottoirs et arbres le long des voies rapides. Et la circulation est inhabituellement clairsemée. Petite passerelle mignonne qui m'amène dans le parc Namsan. C'est très beau, j'ai tout de suite l'impression d'être à la campagne. Ça sent bon, la méditerranée ! Ça monte un peu, minuit heure de Paris, ce n'est pas vraiment l'heure idéale pour courir, si j'en crois mes jambes… Et j'arrive sur une autoroute à bipèdes : quatre voies, deux noires, deux vertes, avec indications kilométriques. Remplie de bipèdes, coréens, de tous âges, marchant, vite ou pas vite, courant, pas vite, faisant des mouvements, énergiques ou symboliques, souvent gantés, parfois masqués, tous très sérieux. Finalement, bipède au milieu des bipèdes, c'est bien plus drôle que héros solitaire… L'autoroute à bipèdes n'est pas bien longue. Je continue sur un chemin. Tiens, des joueurs de badminton (il est 7h30 à peine !). Ça joue sur la terre battue, mais le matériel est impeccable et ça ne rigole pas. Ça joue vraiment sérieux. Tiens, un chemin dans la forêt. Je suis seul, une vraie forêt. Attention, il ne faut pas se perdre. Je me repère sans arrêt, pour le retour. Et hop, une autre autoroute à bipèdes et… la tour. Moche aussi de près, on passe, on regarde bien où on est sur le plan et à nous la descente de centaines de marche d'escalier. Tiens, je n'arrive pas où je pensais. Pas grave, il n'y a qu'à remonter. Et hop, si je puis dire, re la tour. Moche aussi de ce côté là. Mais où donc puis-je bien être. J'ai beau tourner et retourner mon parcours dans ma tête, rien qui s'accorde au plan que j'ai vu tout à l'heure. Et… Zorro est arrivé. C'est fou ce qu'il y a comme héros dans ce pays ! Un européen en scooter qui a eu envie de dire à quelqu'un quelque chose à propos de la tour. Peut-être qu'elle était moche. Pour toute réponse, il a eu droit à : "I'm lost et c'est embêtant parce que j'ai promis à Béa de la rejoindre à 9h pour le petit déj". Anglais prof d'anglais à la banque de Corée installé depuis 4 ans à Séoul parlant coréen couramment, ça ne suffit pas pour savoir lire un plan de métro sur un téléphone portable, ou un plan tout court à un arrêt de bus ou encore deviner si le péquin à qui on demande sa route sait vraiment où se trouve la station de métro Chungmuro, toute proche en fait, ou bien raconte n'importe quoi pour ne pas perdre la face. Donc, donc, j'ai visité une Séoul presque déserte en scooter, en long, en large et en travers, à fond même quand j'exprimais mon intuition que c'était plutôt derrière nous qu'il fallait aller ou que j'avais besoin d'immobilité pour me repérer, grâce... à la fichue tour. Environ vingt minutes après notre départ et à une petite centaine de mètres de l'origine de notre périple, j'aperçois enfin l'entrée de l'autoroute du début et abandonne mon récent ami qui repart… à fond dans la direction dans laquelle pointait son scooter quand j'ai réussi à l'arrêter. Je venais de découvrir sans le savoir la réactivité à la coréenne. Quatre ans, c'est bien suffisant pour être contaminé. Déjà, moi qui écris ces lignes, après quatre jours, j'en sens les premiers effets sur mon comportement. Ceux qui savent que j'ai un moteur diesel pensent que ça ne me fera pas de mal. Mais quand on anime un groupe de coréens, c'est sportif. On apprend vite qu'il ne faut pas donner les clés d'un exercice aux participants avec la toute dernière explication pratique. Sinon, une bonne proportion a fini l'exercice, et tous ont déjà au moins attaqué la rédaction de la synthèse… avant la fin des explications. Mais j'anticipe…